Jérôme Rive : « J’ai un rôle de passeur : on m’a passé, je passe à mon tour »

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Face au décor hautement symbolique de son appartement du premier arrondissement, Jérôme Rive ne pourrait masquer son attrait pour l’étranger. Si les murs ont des oreilles, ceux-là ont la parole et témoignent, avec lui, d’un sens de la diversité. C’est ainsi, près de son grand piano et sous le regard de quelques statues, que le Directeur de l’iaelyon évoque le sien.

Loin d’un discours corporatiste, ses notes intimistes détonnent et font écho à une carrière dans laquelle il a assumé toutes les gammes de sa personnalité. Tantôt grave, tantôt sensible, il est le plus jeune à avoir obtenu le poste de Directeur Général du plus important IAE de France, et pourtant, il réussit naturellement à composer pour faire entendre sa voix. D’ailleurs, quand il prend la parole pour retracer sa prise de responsabilités, celles prononcées par ceux qu’il a croisés font aussitôt résonance. Celles d’un professeur exigeant, d’un ami bienveillant ou encore de son prédécesseur, le fameux jour où il lui exprime sa volonté de se présenter à la direction : « Fais attention, Jérôme : je connais ton penchant pour l’international. Il ne faut pas que tu te tires dans six mois si tu t’engages ! » Nul doute que l’ancien élève en ces murs l’a pris au mot. Une scolarité et huit années de mandat plus tard, Monsieur Rive n’a toujours pas quitté la maison : « Quand je suis arrivé en 1990 pour faire mes études, c’était le fruit du hasard. Je ne me suis jamais demandé d’où venaient ces gens qui y travaillaient. Je n’imaginais même pas que ce soit possible d’y rester. » Et si, au détour d’un couloir, l’étudiant d’hier rencontrait le Directeur Général d’aujourd’hui, il lui dirait « encore-là ? », complète-t-il en riant « Le temps passe à une vitesse astronomique. Ce sont les rencontres qui nous font rester, et si j’avais trop rationalisé, je ne serais même pas là. Toute ma vie, j’ai laissé les choses venir à moi, avec une naïveté et une insouciance que j’ai encore aujourd’hui. » Parole d’un fils d’architecte qui se souvient avoir longtemps aidé son père à tirer des plans.

Né dans une famille qui « baigne dans les sciences de l’ingénieur », Jérôme opte pour un baccalauréat scientifique. Le jeune homme peut compter sur son esprit « matheux », mais cet art d’être « toujours à la bourre » dans ses rendus et « assez peu bachoteur » ne manquera pas de le faire échouer au concours d’entrée de Sciences Po. Suite à cela, son choix non calculé se portera sur un DEUG cumulé. MAAS, AES, quelques cours d’arabe… Jérôme est le parfait représentant d’une génération qui avance sans se poser de question : « Quand je traduisais un poème arabe du IX° siècle, je me disais parfois : « mais pourquoi tu fais ça ? » Les années passaient et on se laissait porter. Je n’avais aucune familiarité avec le monde de l’université et il n’y avait pas vraiment de communication ou de salon étudiant pour nous orienter. Au fond, on restait très généraliste et on ne réalisait pas combien les voies de la maîtrise allaient marquer les orientations professionnelles. »

Quand on me demande ma profession, je n’ai jamais su quoi mettre

À son vingt troisième anniversaire, sa marche vers l’inconnu lui offre son « premier déclic ». Lorsqu’il s’envole pour la Suède, celui qui fait partie de la première génération Erasmus s’apprête enfin à vivre une « véritable expérience en solo, à l’étranger ». Logé chez une ancienne vendeuse d’art, il s’imprègne de la culture du pays et, tout en aidant les PME dans les projets européens, prend goût à l’international : « Je suis arrivé dans des conditions fabuleuses, car rien n’était en place ! C’est aussi dans ces moments-là qu’on commence à projeter ce qu’on est. Moi, par exemple, j’avais mis plein de plantes dans mon bureau ; c’était devenu une serre » ! Admiratif du modèle suédois, il aura même l’audace d’écrire à la ville de Lyon pour leur demander d’y installer des vélos « car là-bas, c’était génial : il en poussait partout ! » Il a peut-être mis la puce à l’oreille de la première ville à avoir lancé ce concept de Velo’v, mais à son retour, Jérôme n’aura guère le temps de flâner ; il vient d’entendre parler d’une filière généraliste « qui emmène un peu plus loin, qui permet de découvrir la recherche par la pratique de la recherche », et, séduit, décide d’en être. C’est là-bas, à l’iaelyon, qu’il déploie sa nouvelle force de conviction, obtient son DEA, puis son Doctorat en Sciences de Gestion. Pour ce major de promotion, il ne reste plus que le choix du roi : rédiger sa thèse et accepter l’allocation de recherche qui vient de lui être proposée. Passé de l’autre côté de l’amphithéâtre, l’ex-élève dissipé enseignera même douze ans différentes disciplines des Sciences de Gestion : « Ce choix de rester à l’iaelyon en tant que Maître de Conférences, je le dois à Patricia, mon professeur de mathématiques qui me mettait au fond de la salle parce que j’étais une tête de turc ! C’est elle qui m’a donné le goût de la pédagogie, car elle voyait les mathématiques comme un outil devant servir la gestion ». La « culture projet » et « l’esprit atypique de l’école » feront le reste et le convaincront aisément d’additionner les missions, de prendre place dans les comités d’administration et de se charger de l’international : « Je ne me suis jamais collé l’étiquette de prof’ car j’ai toujours eu plusieurs responsabilités. Quand on me demande ma profession, je n’ai jamais su quoi mettre. Maintenant que je suis Directeur Général de l’iaelyon, je me pose toujours la question ».

Décrocher ce statut n’a jamais été pour lui un objectif de vie, l’enchaînement de défis, oui. C’est à la fin d’une réunion, où la nécessité de permettre à l’iaelyon de dépasser son stade artisanal est évoquée, que Jérôme Rive réalise sa volonté de défendre son modèle : « L’enjeu était de structurer, de faire émerger une culture managériale des chefs de service, de faire passer des projets de fond, de monter une marque et surtout, d’être capable de ranger son égo pour avoir les idées claires », explique-t-il sans langue de bois. Il connaît peut-être tous les recoins de cet établissement, mais à trente cinq ans, Jérôme reste « très bleu et très jeune » pour remplir ses fonctions. Pour avoir la carrure de sa carrière, il décide donc de suivre un programme de formation de jeunes Doyens et d’établir une stratégie « en pointillisme » : « En plus de donner de l’optimisme à la structure, Jérôme a petit à petit créé les conditions de mise en autonomie. C’est un visionnaire, il a toujours un coup d’avance. J’ai vraiment l’impression qu’avec lui on a changé d’époque et de génération ! », confie Catherine Parmentier, Directrice de la Communication de l’iaelyon. S’il s’admet caractériel, « pas soupe au lait, mais presque », lui tâche surtout à monter des marches qu’il ne soit plus possible de dévaler : « Je connaissais mes dossiers et je ne lâchais rien. Dès qu’on touchait à des choses sensibles, je sortais les crocs et je tenais tête ». Une pugnacité qui ne le quitte pas, mais qui se verra largement diminuée par la perte brutale de ses deux référents familiaux, à la fin de son premier mandat : « L’iaelyon avait eu besoin de moi et là, c’est moi qui avais besoin d’elle et de son énergie pour tenir le coup. C’est ce qui m’a redonné du sens et un équilibre. Au renouvellement de mon mandat, je me suis senti entouré, encouragé et très aimé ; j’avais envie de foncer ».

La bienveillance et l’attachement d’une équipe. De quoi tenir face au manque de temps souvent ressenti et au rythme exigé par cette « fonction de solitude ». Si à quarante trois ans, Jérôme assume de ne pas poursuivre son mandat actuel de Direction Générale, il n’oubliera jamais cette soixantième bougie soufflée, et encore moins cette mémoire vivante qu’il s’apprête à laisser aux générations futures : « J’ai un rôle de passeur : on m’a passé, je passe à mon tour. Et puis, faire sa vie entière dans le même métier, c’est sclérosant. Il faut changer, renouveler, pour que cela reste sain pour l’homme, et pour l’institution. » Par quel flot se laisser porter ? À quelle rive s’arrêter ? « Une idée qui passe par la tête ne passe jamais sans raison. Je ne m’interdis jamais de penser que quelque chose de complètement irrationnel peut arriver », répond celui qui n’est jamais à court d’espaces de réalisations. Cette cuisine dans laquelle il élabore des repas « hyper minutieux », cet abonnement à la Maison de la Danse ou au Musées des Beaux-Arts, cette maison aux Avanchers à laquelle il est très attaché, ou encore ces marches sur lesquelles si peu s’assoient pour « parler du beau et du mauvais temps » : « Être à l’écoute de l’autre et de soi, réussir à couper, c’est un luxe colossal. Quand on s’arrête, on relativise notre rôle, nos fonctions, et on se rend compte qu’on n’est pas grand-chose ». Simplement un être en construction, qui n’en demeure pas moins les murs de cette Maison.

« think large » est le slogan de l’iaelyon, que vous évoque-t-il ?
« Une injonction d’ouverture à autrui, de pensées ouvertes et de sauts dans l’inconnu pour oser et faire. »

Et s’il fallait faire le portrait de l’iaelyon ?
« Un Arcimboldo dynamique fait d’un bouillonnement de projets multiformes et colorés et du développement, individuel et collectif, d’hommes et de femmes. »

© TRAFALGAR MAISON DE PORTRAITS – 2017

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